Stratégies et outils de conservation

Face à la destruction de la biodiversité, les chercheurs, ONG, entreprises et les acteurs publics développent un nombre grandissant d’outils d’information et de quantification innovants de la biodiversité (modélisation des services écosystémiques, outils d’alerte, outils cartographiques participatifs, outils d’alerte reposant sur l’intelligence artificielle, outils d’empreinte, évaluations et outils économiques, etc.).

Bien que toujours plus performants sur les plans scientifiques et techniques, leurs concepteurs et utilisateurs se heurtent toutefois dans une grande majorité des cas à de nombreuses difficultés lorsqu’il s’agit de produire des changements concrets et durables dans la prise en charge collective des écosystèmes en jeu sur les territoires (comme nous avons pu en faire nous -même l’expérience avec des outils d’évaluation intégrée des services écosystémiques à Bordeaux : voir par exemple ici, ici et ici). Ces limites renvoient à l’importance d’étudier les dimensions sociales, organisationnelles et institutionnelles de tels outils (voir par exemple les travaux de L.Mermet sur les outils économiques pour la biodiversité dans cet ouvrage).

Mes recherches sur ce thème consistent alors à développer des cadres et des méthodes d’analyse en sciences sociales aptes à penser les rapports entre la conception et l’usage de ces outils d’une part, et les stratégies de changement, d’organisation de l’action, d’attribution et de contrôle des responsabilités, et de gouvernance collective des écosystèmes dans lesquels ils s’inscrivent d’autre part. 

Cet axe de travail s’est notamment traduit (1) par le développement et l’expérimentation sur le terrain d’une méthode de diagnostic de contexte pour la conservation; (2) des travaux d’analyse critique des enjeux de gouvernance d’outils innovants d’information sur les écosystèmes et d’accompagnement stratégique des acteurs les mobilisant.

Méthode de diagnostic de contexte

Nos travaux insistent sur l’importance d’étudier les outils innovants d’information et d’évaluation pour la biodiversité dans le contexte des situations concrètes de gestion collective et les stratégies de changement dans lesquelles ils sont mobilisés, et qui en déterminent in fine leur efficacité.

Pour avancer dans cette direction, une part de mon projet de post-doctorat a consisté à conduire la conception d’une méthode de diagnostic des contextes de gestion des écosystèmes à destination des gestionnaires de projets concrètement impliqués dans des interventions stratégiques de conservation. En guidant l’analyse des dimensions sociales, organisationnelles et institutionnelles de leur contexte d’intervention, la méthode a pour but d’enrichir leur réflexivité sur l’usage pertinent qu’ils peuvent faire des outils innovants d’information et d’évaluation des écosystèmes.

La démarche combine d’une part des méthodes de collecte de données empiriques (questionnaires, cartographies d’acteurs, entretiens, observation directe, ateliers, etc.) sur les terrains d’interventions concernés ; et d’autre part des apports conceptuels provenant de théories en sciences sociales jugées particulièrement pertinentes pour enrichir l’analyse des enjeux de gouvernance collective des écosystèmes identifiés. Des visuels sont proposés pour rendre « actionnables » ces théories et permettre des échanges et interprétations collectives de la situation d’action entre membres d’une même équipe ou entre différents acteurs.

La méthode, illustrée par des exemples inspirés de cas réels de stratégies de gestion des écosystèmes, a été publiée sous la forme d’un rapport technique. Des vidéos tutorielles accompagnent ce rapport. Voir également ces articles de blog (ici et ici) et ce guide inspiré de la méthode.

Cette approche a été testée auprès de porteurs de projets de biodiversité au sein de grandes ONG d’environnement et de banques de développement dans le cadre d’ateliers ainsi que sur des terrains concrets d’intervention pour la protection/restauration des écosystèmes notamment aux Philippines et en Indonésie. Voir notamment ce papier académique sur les enjeux de gouvernance d’un « sustainable landscape » et d’un corridor écologique à Sumatra.

Analyse critique et gouvernance des outils de conservation

Mes recherches visent plus généralement à ouvrir un agenda d’analyse critique des outils d’information pour la conservation, en multipliant les études de cas et en équipant progressivement une discussion plus générale et comparative sur leurs enjeux de gouvernance et de mise en œuvre dans des contextes socio- écologiques contrastés (cette perspective constitue l’une des dimensions des recherches sur les comptabilités écosystème-centrées, voir notamment ce papier).

Un tel travail repose sur des collaborations interdisciplinaires entre  les sciences de gestion (et en particulier comptabilité), les sciences de la conservation et la socio-anthropologie. Nous défendons par ailleurs un positionnement engagé où cette critique est mise activement au service de l’accompagnement stratégique et de l’aide à la conception auprès des acteurs qui déploient et expérimentent ces outils dans des situations complexes d’action territorialisée, via des méthodes de recherche-intervention.

Ce papier académique propose une démarche générale pour un tel agenda de recherche en l’illustrant par notre travail de terrain à Bornéo sur le cas d’un outil d’alerte précoce contre la déforestation dans le cadre de la mise en place d’un corridor écologique.

D’autres recherches de terrain conduites en France et à l’international sur des stratégies de protection/restauration des écosystèmes ont donné une place particulière à l’analyse du rôle des données et outils d’information et d’évaluation (voir par exemple la recherche conduite sur la Grand Muraille Verte au Sénégal ici  ; et les rapports produits dans le cadre des enseignements de terrain en analyse stratégique de la gestion environnementale sur la page Publications).

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